Le Sovaldi®, en traitement curatif standard de trois mois de l’hépatite C chronique est vendu 41 000 euros. Un nouveau traitement contre le mélanome avancé coûte environ 10 000 euros par mois, avec à la clé la promesse d’une survie à trois ans. De nombreuses autres pathologies pourraient également en bénéficier.
Le surcoût des traitements anticancéreux lié aux nouvelles molécules est par ailleurs estimé de 1 à 1,2 milliard d’euros par an, les thérapies ciblées contre le cancer coûtant en moyenne 5 à 10 fois plus que les chimiothérapies classiques. Tant mieux pour la santé des patients, tant mieux pour leurs chances de survie. Mais le système de santé français pourra-il longtemps soutenir une telle inflation de ses prises en charges sans faillir à son modèle d’accès universel aux médicaments ?
Pourquoi l’innovation coûte cher ?
Les laboratoires qui mettent en marché ces médicaments de pointe justifient leur coût par leur caractère fondamentalement innovant. Fruits d’une démarche longue et coûteuse, de la phase de recherche proprement dite à la demande d’autorisation de mise en marché, en passant par des essais cliniques poussés, leur coût de revient est élevé et se répercute sur leur prix de vente. Les laboratoires entendent amortir leurs frais de recherche rapidement, pour permettre le financement de leurs recherches futures : il s’agit pour eux de sauvegarder la juste rémunération de l’innovation. Mais, à tort ou à raison, certains pensent qu’il s’agit également de stratégies de distribution lucratives, les pathologies concernées étant généralement graves ou et les patients atteints prêts à tous les sacrifices.
Le Comité économique des produits de santé (CEPS), organe de l’Etat, fixe les prix des médicaments remboursables en fonction notamment des dossiers de demande des laboratoires et du prix facial qu’ils revendiquent. Aussi, l’opinion publique et les instances médicales exigent à juste titre plus de transparence auprès de tous les acteurs impliquées dans l’élaboration des prix. L’enjeu est de taille : favoriser la révolution thérapeutique en marche et sauvegarder notre modèle de Sécurité sociale, qui constitue l’un des piliers de la cohésion sociale et de l’égalité en France.
La perspective d’une fragilisation de l’accès aux soins
Chaque année, une enveloppe budgétaire est attribuée à la Sécurité sociale, après négociation avec les différentes parties prenantes, dont l’industrie du médicament. Il s’agit de l’ONDAM ou « Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie ». Son objectif est de contraindre les dépenses de l’assurance maladie en fonction du budget de l’Etat. Le volet « dépenses de médicaments » de l’ONDAM est défini par un mix entre la baisse des prix des traitements plus anciens, des mécanismes de régulation des prix, ainsi que la contribution des assurés et des entreprises. Mais si le prix des traitements innovants poursuit son envolée exponentielle, les dépenses de santé risquent de devenir insoutenables par le système de santé et ceux qu’il sollicite. Elles le sont déjà puisque l’ONDAM a fixé à plusieurs reprises le nombre des patients bénéficiant effectivement des traitements en dessous du nombre de bénéficiaires potentiels, en dépit des obligations de santé de l’Etat.
Pour les patients atteints d’hépatite C, une sélection a ainsi été opérée dans un premier temps, seuls les plus atteints ayant pu accéder au traitement par le Sovaldi®. Puis un fonds d’accès universel aux traitements de l’hépatite C s’est mis en place, garantissant son accès à tous. Mais quid des patients atteints de cancer par exemple ?
C’est parce que la menace d’un rationnement de l’accès aux soins est réelle que le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a planché sur cette question brûlante et remis son avis, en janvier 2017.
Propositions du CESE en faveur d’un prix plus juste
Dans son rapport, le CESE suggère ainsi que de meilleurs outils prédictifs soient mis en place pour permettre d’anticiper une augmentation du coût des médicaments et donc sa meilleure gestion.
Il pointe par ailleurs que les prix pratiqués par les laboratoires ne reflètent pas toujours un niveau d’innovation très élevé et en appelle ainsi à une fixation du prix selon le bénéfice avéré des médicaments. Cette dernière suggestion ne fait qu’entériner un accord conclu en 2016 entre l’industrie pharmaceutique et le CEPS. Cet accord – actuellement en test et prévu pour les médicaments innovants mais très onéreux -, représente une mini révolution : il prévoit en effet la possibilité de réviser le tarif des médicaments en fonction de leur véritable efficacité, donc la possibilité de remettre en question, en situation réelle, l’efficacité et la tolérance d’un médicament telles que démontrées lors des études cliniques.
Cette mesure phare incitera fortement les laboratoires pharmaceutiques à la plus grande transparence. Elle impliquera également une réforme du système actuel de fixation des prix du médicament, configuré pour mesurer l’innovation « courante ». Il devra s’adapter à la prise en compte des innovations dites « de rupture », c’est-à-dire apportant des bénéfices radicalement supérieurs à l’existant.
Enfin, le CESE plaide pour un meilleur fonctionnement d’une concurrence qui semble ne pas jouer son rôle de régulation.
L’ensemble de ces préconisations visent selon le CESE à « sauvegarder une juste rémunération de l’innovation et l’accès de tous aux nouveaux médicaments ». Pour être efficaces, elles doivent s’envisager à un niveau local autant qu’européen et international.
Emmanuel Macron n’a pas dit autre chose lors de sa campagne électorale. Synthétique, il a en effet souhaité que « la fixation du prix des médicaments s’ouvre davantage au point de vue des usagers ». Et jugé nécessaire de « mettre les moyens en face des innovations et d’adapter de façon dynamique les prix des molécules anciennes ou moins pertinentes ».